Béatrice PAILLER, D’un pas de luciole, Editions du Cygne, 58 pages, 2024, 12 € 


C’est une poète : pour dire des canalisations d’hiver, qui, dehors, gèlent la nuit et dégèlent le jour, elle écrit : « Incisive sur la langue du matin l’eau sourit aux lèvres du zinc. Du rebord des gouttières, l’hiver rit de toutes ses dents : déchaussées à midi, rechaussées à minuit » (p.29). Pour évoquer la tonalité particulière d’un passé vécu : « Autrefois a goût de manque, petit fruit roulé à fond de gorge sous la langue, pour ne pas oublier la saveur de ce qui fut » (p.25). Pour décrire l’immense incendie énergétique déclenché, sur Terre, par l’activité surpeuplée et dévastatrice de l’homme, elle a ces mots : »Feu a pris monde, tombé des poches de l’homme, nourri de son orgueil » (p.23). Et même pour caractériser une notion aussi abstraite que le temps (l’infatigable et inéluctable successivité des existences), elle a l’image parfaite : « Le temps : une éternité de terre, mais à l’homme : sable où demain se dérobe » (p.18). Mais, malgré l’intensité sensible de ses notations sur la vie dans la nature, Béatrice Pailler pense aussi l’élan naturel même, elle médite  (et fait méditer) la Vie propre et infinie de la Nature. Sa profondeur me rappelle les réflexions entendues du philosophe Marcel Conche (1922-2022) au temps de mes études : cette poète voit et sent, comme lui alors, que la Nature est comme une immense tapisserie de choses et d’événements (avec leurs motifs liés de proche en proche) dont la force ne faiblit pas; qu’elle est dispensatrice de leur espace et de leur temps pour tous les êtres ; qu’il n’y a pas de Principe de la Nature même, mais qu’elle est le seul Principe réel (puisqu’elle contient tout pouvoir de commencer et de commander), ou qu’il n’y a pas d’au-delà d’elle (car elle établit tout horizon, et englobe d’avance tout ce qui la limiterait). Mais elle, en poète, sait mieux que personne que, pour saisir véritablement la Nature, il faut aller jusqu’à écarter notre propre pensée ! Comme l’écrivait Conche, dans « Présence de la Nature » :

   « Il appartient à la nature de la pensée de devoir se laisser elle-même de côté pour être à la mesure de ce qu’il y a, dans la Nature, à penser » (p.70). 

Et, pareillement, voici les derniers mots de Béatrice Pailler dans ce recueil, où la Nature ne pense pas, n’est pas Idée, ne travaille qu’à son propre déploiement – mais, en définitive et partout : « rit » (de toutes ses formes !), est « Mère » (de toutes ses forces), et « joue » (de son propre fond).

« Temps joueur, tourne la roue. En elle la joie, en elle l’étreinte. Dans la cascade des saisons son rire de vent, d’eau, de ramures; son rire de mère, car demain sera l’humanité  » (p.54)      

Rouvrons le livre : cette promeneuse (de campagne) et jardinière (à ses heures, qui sont donc celles de la nature) est seule là où elle va – en tout cas, elle n’y rencontre personne – et, à force d’observer, de saisir les paysages et morceaux de monde à même leurs correspondances visibles, elle ne cesse, en effet, de « méditer » – en tout cas de se formuler à elle-même ce qu’elle discerne, de synthétiser ce qu’elle devine. Elle pense, mais à même les choses, le temps, les vents de jour et de nuit, les voix et lueurs de son pays (autour de Reims ?) – et, dernière surprise, elle pense sans concepts, sans références, sans recoupements instruits, comme si sa vive intelligence se voulait sans passé, et si sa culture se faisait devoir d’avancer muette, micro coupé, tout à l’écoute et à la disposition de ce qui, dans le monde qu’elle arpente, la dépasse. Cette sobre ascèse étonne, mais on comprend assez vite que le passé qui l’intéresse est celui des choses et organismes, et qu’elle parle et écrit pour le deviner (et, probablement, servir sa subsistance). 

Ce sont, en effet, les clignotements du passé du monde que Béatrice Pailler nomme « lucioles » et sort rejoindre. La persistance du passé dans le présent (et donc dans l’avenir, fait seulement des présents qui ne sauraient tarder !) est à la fois son obsession, sa cible et son appui. (« Dans le pas du monde survivent les absents. Libres d’horizon, ils déambulent, nus du jour, vêtus du temps » p.41) Puisqu’aucun présent ne peut chasser l’autre sans devenir lui-même le passé et le rejoindre, le temps qui passe construit, consolide, complète et confirme, sans trêve et sans faute, le passé (voilà une intuition chez elle, semble-t-il, centrale). Comme disent les philosophes, puisque ce qui n’est plus ne peut pas ne pas avoir été, tout présent actuel est hanté par l’entrechevauchement indéfini de ses devanciers, et « ce qui fut fait signe, mais aujourd’hui l’ignore » (p.24), comme le relief des gorges oublie – mais marque ! – la lente scie des eaux qui les encaissèrent, ou la roche fossilifère s’ignore ancien sol enfoui, où y vaquaient les vies déposées et peu à peu englouties avec lui. Débris de gestes et de formes d’une vie naturelle qui dansent toujours là où ils sont, passé réel du monde dont le contact avec notre présent ne fait que continuer les rencontres et « étreintes » d’alors – et qu’il suffit alors à la poète de considérer, et transposer à nous, en demandant, par exemple : quel passé du monde serons-nous donc nous-mêmes, le jour venu ? Un fossile est conservé et souvent intact parce que le vivant qu’il relaye fut lui-même silencieux, ou assez issu du silence pour bien mûrir. Mais nous, dont le présent n’est que bruit, fureur et égarement, de quelle maturation sera donc capable, demain, notre effort révolu ? Notre indéfinie bougeotte, par contraste, se compactera peu quelque part, et nos révolutions permanentes rendront bien malaisée à la Nature sa généreuse (et désintéressée) tâche de nous y conserver ! 

Cette Nature, d’ailleurs, a-t-elle un maître ? Dans un récent entretien, Béatrice Pailler résume sa « poétique du monde » par deux mots : Création et Lumière, souhaitant, par sa poésie, « faire partager la lumière intrinsèque de la création« . Mais l’emploi du terme « création » ne signifie pas, ici, une origine divine de la Nature, mais veut plutôt souligner l’indépendance de cette Nature par rapport à son Créateur (car, comme le souligne le philosophe Gildas Richard, une « création  » vient de rien (elle est ex nihilo), – alors qu’une fabrication vient d’une idée ou un engendrement d’une semence – : parler de « création » pour désigner la Nature, c’est donc la faire venir de rien, ou de rien d’autre qu’elle-même, et c’est donc soit constater que son créateur est absent (donc nous veut libres de lui !), soit que toute présence créatrice est discutable (donc facultative !). Ce qui, au contraire, est certain, selon Béatrice Pailler, c’est que la Nature est notre absolue Origine, donc notre divine source. C’est donc notre saccage de la Nature qui est blasphématoire, et non la divinisation de la Nature au détriment d’un Principe divin antérieur et extérieur à elle ! Et, lorsque la Nature, par nous agressée, reprend ses droits (comme en témoignent nos ruines), ou qu’elle « décide » de faire demi-tour lors de ses propres impasses évolutives, de se « ré-ensauvager » à loisir quand elle est allée trop loin ou qu’elle est fragilisée par ses sophistications, alors il faut s’incliner (comme le chêne devant le lierre qui l’enserre, ou le moment où le « rosier redevient églantier »  – le passé de la nature, par principe majoritaire en elle, se rappelle alors, logiquement au bon souvenir de son présent – ). Deux très beaux passages, ici, p.44 :

« Le lierre enlumine les bosquets. Langue et salive sur écorce, il donne aux arbres sans printemps l’illusion de ses feuilles …« ,    et :

« Maquis de velours, d’épines, solitude trempée du soir, les allées s’épuisent. Dans l’ombre d’une lune tiède, les ronces guettent la fin d’un règne : le rosier redevient églantier. Ce qui fut a trop de vie pour ne jamais se taire. S’inverse, alors le chemin. Sous la couronne du désordre, la vie errante reprend terre« .

Ainsi la conscience écologique suit la liberté poétique comme son ombre ! Car, quel meilleur moyen de saisir ce que nous avons fait de la Nature (un mondial atelier-dépotoir), que, par le Verbe poétique, formuler ce que nous avons réellement voulu d’elle : à l’évidence, l’exploiter, la dresser et la rentabiliser. Et notre poète n’a besoin, elle, que de cinq mots pour, décisivement, le formuler.  Les voici : Le Verbe est devenu « un trop frère du profit ! » (p. 49). Oui, le merveilleux verbe humain est devenu le cancer de l’harmonie naturelle. Pas alors de remèdes-miracles ici, mais le miracle d’une parole cherchant en elle son propre remède, avec patience, acuité et une infinie justesse. Trois courtes citations suffisent à en montrer la valeur : respectivement, sa caractérisation de l’élément serpentant de la vie (l’eau), le silence requis pour écarter les mâchoires de notre étau logico-verbal, et sa merveilleuse capacité à voir en tout présent l’effort qu’aura fait le passé sur lui-même (« la braise d’hier »). Étonnante, attachante et éclairante poète ! La vie, dit-elle, … « seule promesse tenue » !!! Oui, tenue dans ce recueil d’abord !

« L’eau, une enfance retrouvée qui aurait raison de la surdité du monde. Elle parle à tous les corps et son dialecte de terre, bruits de langue, soyeux, tels des serpents, est la seule promesse tenue, la seule vérié qui compte. De sève, de sang et de lait, de salive et de larmes; source, elle chante dans tous les corps. Son dire est le plus doux des baptêmes. Toujours, sur le temps qui n’a plus date, sa parole guérit » (p.8)

« Telles des saintes au tombeau, les pivoines embaument. Le jardin mouillé d’or moissonne le jour. La pluie investit les feuillages. S’étend le soir, saison fugace de silence où le temps ne saigne plus, gardant en lui ses heures » (p.43)

« Dans nos corps murmure un chant de lucioles, la braise d’hier : des souvenirs, telles des lueurs, réfutant l’absence : con forza y fuoco » (p.42)

                                                        

Danielle FOURNIER, ce pourrait être l’été, suivi de Mireille FARGIER-CARUSO, ainsi cela devient, collection Duo, Editions Méridianes (Montpellier), 2023, 12 €


Il arrive que les poètes soient aussi intellectuels (prof d’université, philosophe), et la pensée les fait chanter. Nous qui, alors, les lisons et recevons, leur chant en retour nous fait penser, et c’est justice. Mais voici que, d’après le principe de cette petite collection (un poète lance un poème de quelques pages, un autre – qui saisit ce poème comme une question qu’on pose – lui répond), il arrive ici que deux poètes intellectuelles s’entre-répondent : deux chants de pensée se suivent, se jaugent et s’accordent autant qu’ils peuvent, autant que la vérité leur paraît le permettre. Va-t-on dès lors constater qu’elles pontifient fort, et qu’on s’ennuie ferme ? On pourrait le craindre, mais non : le thème traité est, en effet, net et universel, c’est celui de l’été manqué ou failli, de la maturité qui déçoit ou déchante, d’une vie humaine parvenue au sommet de sa construction et échouant à stabiliser son acmé, à trouver paix et joie à ce qu’elle se sera fait devenir.

Danielle Fournier (1955) titre sa séquence : « ce pourrait être l’été » (la pleine et complète saison d’existence, la plénitude méritée d’expérience, l’exercice enfin réussi d’être là), mais … ça ne l’est pas : la puissance de béatitude acquise ne marche pas, quoi qu’on aime en croire, quoi qu’on s’amuse à en singer, quoi qu’on joue à en disposer. Le poème est digne, poignant, juste – d’une nostalgie sûre de ses motifs, mais n’exagérant jamais ses moyens. Une femme cherche à comprendre (puisqu’elle a toute sa vie pensé pour n’avoir plus peur de comprendre !) comment elle n’en est pas arrivée là où sa constante authenticité, sa fière fidélité, sa secrète attention à ce qui chaque fois importait vraiment, étaient faites pourtant pour l’y mener. Il y a là une plainte intègre, un constat élégiaque (« que faire des ciels en pleurs« ?), un demi-tour inconsolable sur le défilé d’efforts perdus qu’une vie se sent quitter. L’aveu bouleverse : son propre travail de perfection a comme trahi cette femme. Trahi, parce que l’été, ici, que « ça aurait dû – maintenant enfin – être« , est comme la saison de l’accomplissement, la période de notre destin où le corps est le plus habitable, où notre propre enveloppe de chair est devenue maison sûre et sereine. L’été d’une existence est son moment d’être digne foyer d’elle-même, que le feu (domestique) du sens éclaire et justifie : c’est l’âge exact, dit-on volontiers, auquel on choisirait, un jour d’après la vie, de ressusciter; l’âge aussi qu’on reconstruirait pareil, qu’on rebâtirait à l’identique si l’on venait absurdement à le perdre, comme un bagage, jeté du toit dans le vide, lors d’un virage serré. Mais rien n’y fait : la part la mieux exercée de soi se fait indisponible, sonne creux, donne, au mieux, lieu à tristes grimaces et oisives clowneries :

« on joue à l’été dans l’eau glacée avec des

ballons gonflés

on s’amuse à rire autour d’une table vide, à se 

prendre par la main

pourtant il n’y a Personne

et ce n’est pas que l’on craigne quelque chose » (p.8)

Bref, pour le dire familièrement, ça ne vient pas fort !

« une femme ravagée de l’intérieur existe

et n’a pas de mots

vit en parallèle

un monde où la guérison ressemble au vent

elle ne sait plus ce qu’elle attend

sinon qu’elle attend » (p.7)

C’est donc Mireille Fargier-Caruso (1946) qui répond. Le titre de son poème en écho nous dit tout : « Ainsi cela devient« . Elle rectifie donc trois fois le « ce pourrait être l’été » du poème d’appel. D’abord, le serré et net indicatif présent (« devient ») répond au flottant et flou conditionnel (« ce pourrait être »); ensuite, le pur et simple « devenir » (l’écoulement des états du réel, la sèche et inlassable auto-succession des événements du monde) vient supplanter et effacer l’être espéré et fantôme; enfin le « Ainsi cela » conclut – comme un glas logiquement impersonnel et général – à la vanité des réclamations particulières (absurdes au Paradis, inutiles en Enfer, ambiguës dans l’entre-deux). La « réconciliation » ne se mendie pas, elle se décide; le passé vaut précisément le présent qu’il fut, et aura l’avenir du sens que nous lui ferons mériter ou non de garder. La poète balaie, pour nous, devant la porte de la vie : tout nouveau « maintenant » fait logiquement vieillir (comme le dit d’ailleurs Platon dans son « Parménide », 152 bc); « nous ne sommes jamais tout à fait » (p.4), car nous ne devenons que pour redevenir aussitôt autre chose (aucun état de nous-même, même le plus abouti, n’est fait pour être ce nous-même !); tout devenir (et une vie réelle en est un) est à horizon indéterminé, à sillage révolu et à définitive hésitation :

« tandis que les marées vont et viennent

dans le plaisir du mouvement

nous cheminons

vers ce qui s’échappe toujours

les jours noyés dans notre dos » (p.4)

Trois arguments viennent en images exemplaires. D’abord, l’amour qui fut ne passe pas, car deux êtres l’ont fait justement passer l’un dans l’autre (tu « ne peux effacer/ ces moments où l’on est hors de soi/ cette émotion et son sillage« , p.10), dans un secret confié à plus haut qu’eux :

« nous savons bien alors

que nous sommes plus que nos gestes

à croire qu’on pourrait

remonter le temps avec nos mains

puis le repos

après l’amour

si haut

si simple

nous sommes réconciliés » (p.6)     

Ensuite, le temps, disent les philosophes, est « le devenir passé du présent », et même le « revenir présent du passé » y baigne (et s’y noie héroïquement) : la réalité n’habite que là où elle change. Faisons, pour être réels, comme elle !

« pas de pause dans la durée

pas d’arrière cour au monde

on peut juste faire du commencement

pour pouvoir l’habiter » (p.12)

Enfin, que trouve et « sauverait » la nostalgie ? Du présent ranci, laissé pour compte; un présent en tout cas qui rêvait d’un autre avenir que notre piteux et cérémoniel retour à lui ! Il n’y a pas de maison inactuelle, l’absence n’est foyer que pour les absents :

« sur la table de nuit une bague oubliée

un anneau    un lien trop grand pour toi

et cette carte retournée à l’expéditeur

fausse adresse

y a-t-il donc un vrai lieu où habiter ?

insouciants les mots

avenir grand ouvert

devenus faux comme l’adresse

on connaît trop la fin de l’histoire » (p.8)

Laquelle a raison ? Mireille Fargier-Caruso opte, comme on voit, pour le défi tragique (les animaux vivent bien car ils ne savent que vivre, comme les choses ne savent qu’être; pour nous, bien sûr, nous savons que ce que nous croyons importer le plus est ce qui dure le moins) et elle parie sur ce qui doit ne pas durer :

« parier sur l’éphémère

du vif

au milieu de la grande patience des choses

restées là immobiles

comme si elles nous attendaient » (p.7) 

Danielle Fournier – qui n’espère, de toute façon, rien d’éternel – attendait, elle, au coeur d’une vie humaine, une possible complète réalisation du temps. De ceci, qui n’a pas eu lieu, elle ne peut faire son deuil. Comme poète, elle sentait (à tort ou à raison) le temps lui-même vivre – or tout être vivant est un précipité de temps (il contient encore, dans ses gènes, ce qui l’a permis; il permet toujours, dans son métabolisme, que persiste ce qu’il contient). « Ce pourrait être l’été » signifie alors peut-être : le temps pourrait, devrait, lui-même vivre. Une durée devrait jouir de son propre perfectionnement. Comme l’espace s’accomplit en maison d’un corps, le temps devrait pouvoir se devenir à lui-même réel … en maison d’une âme ? On comprend alors (et partage) l’espèce de désespoir policé, de polie inconsolabilité de sa déception :

« toujours, toujours les mots dessaisis d’une

histoire qui s’est délitée

entre les pages d’un livre vermoulu sur une

tablette crasseuse

d’une tour lézardée, d’un moulin décrépi

une femme enterrée au jardin

un amour ruiné  » (p.9)

Ce dialogue à la loyale entre deux superbes lyrismes – à propos, justement, de la légitimité même d’une existence lyrique ! – touche et éclaire.

Benoît Lepecq, Exposition, Théâtre, Éditions de L’Harmattan, Mars 2021, ISBN : 978-2-343-22713-9,12 €

Une chronique de Hervé Martin

Benoît Lepecq, Exposition, Théâtre, Éditions de L’Harmattan, Mars 2021, ISBN : 978-2-343-22713-9,12 €


Benoît Lepecq est l’auteur plusieurs pièces de théâtre éditées par les éditions de l’Amandier, hélas aujourd’hui disparues. Il fait paraître aujourd’hui chez L’Harmattan sa sixième pièce, Exposition.

La « folie », cette marginalité mentale est un thème récurrent chez Benoît Lepecq. En témoignent les titres de ses précédentes œuvres théâtrales, Le Fou, Le Tarot du Fou où encore Lamenti autour du couple et artistes surréalistes Unica Zürn et Hans Bellmer, liés par une relation bien particulière. Ils sont à nouveau au cœur de ce livre.

Lors d’un vernissage consacré à la dessinatrice Unica Zürn dans le Paris des années soixante, quatre personnages se retrouvent dans un renfoncement en marge de l’exposition. Sont présents l’artiste elle-même et Hans Bellmer son mentor et compagnon, le docteur Ferdière psychiatre d’Unica et la journaliste et traductrice Ruth Henry. Ils se croisent, se rencontrent et conversent à l’écart de la salle d’exposition.

Dans une atmosphère électrique et les tensions de ces échanges Benoît Lepecq met en exergue les relations d’interdépendances et de conflits de ses personnages. Unica Zürn est-elle seulement cette « poupée », sujet modèle entre les mains de l’artiste Hans Bellmer ? Quels désirs ou volontés animent ces deux êtres qui sont respectivement sujet et maître, compagne et amant et pour Unica alternativement artiste et muse ? Quelle quête de jouissance, recherchée ou inconsciente et quelle volonté, animent le médecin dans sa relation à cette patiente, bien revêche aux traitements médicamenteux qu’il lui prescrit sous la menace d’un nouvel internement et d’électrochocs ?  Et que penser de Hans Bellmer que la journaliste Ruth Henry associe à son beau-père, un ancien membre du parti nazi qu’elle dépeint comme son potentiel violeur ? 

Dans cet après-guerre du nazisme, ces exilés qui ont quitté l’Allemagne tentent peut-être une réconciliation avec eux-mêmes pour retrouver des raisons d’exister. 

Avec ce texte Benoît Lepecq réhabilite Unica Zûrn dans sa position d’artiste dessinatrice et de poétesse en l’éloignant du seul rôle de « poupée » et de muse qu’on lui attribue.  Ce sujet qui aurait été uniquement aliéné aux désirs de Hans Bellmer et aux traitements de la médecine psychiatrique. 

© Hervé Martin