Yves Bonnefoy, ce qui rompt pour lier

Chronique de Miloud Keddar 

h-3000-bonnefoy_yves_hier-regnant-desert_1958_edition-originale_autographe_1_51239

« Yves Bonnefoy, ce qui rompt pour lier » 


Yves Bonnefoy,  « Hier régnant désert », Mercure de France, Paris.

« Hier régnant désert ». Le titre est en lui-même un instant accompli. Suffisant en soi à répondre, il l’est par l’évocation et l’énoncé, par quelque part le sens auquel il ouvre. J’y retiens la musicalité, surtout. La progression de l’aigu au grave, répétée, la gamme entière qui illustre l’aggravation du temps présent. Ainsi les voix basses du début du poème dans « La Neuvième Symphonie » de Beethoven appellent l’orage, une compréhension nouvelle, la désintégration des signes. Chez Yves Bonnefoy l’alternat va plus loin. Il atteint au « naturel ». La respiration voire l’inspiration-expiration dévoile une oscillation qui, dans ce moment de l’œuvre, n’est que par le dépassement. Je pense à « L’acte et le lieu de la poésie » où l’inspiration y est dite non tolérée, « cette », dans le sens où l’entend Bonnefoy, « inspiration qui dans la poésie du passé nourrissait au moins de passion le souci de l’intelligible ». Venue après, cette affirmation confirme l’espoir fondé et le porte. Loin Hegel et la vitre hier close (Mallarmé). Le jardin nôtre brise l’obscur fatal et vient, ou mieux : Je suis, dit-il !

« Hier régnant désert » reste un merveilleux reflet et de l’étonnement du poète et du désir recherché. Maintenant, là-bas, sans la gêne de la réflexion qui gouverne dans « Anti-Platon », Douve inspirée expire. Elle meurt presque, mais et « Douve même morte est » encore, je partage l’image, le pays interrogé.

« Il y avait

Qu’une voix demandait d’être crue, et toujours

Elle se retournait contre soi et toujours

Faisait de se tarir sa grandeur et sa preuve »

Dit l’auteur, et moi plus haut. L’espace de « Hier régnant désert » est su « à une terre d’aube ». Avant, les germes nocturnes, l’immensité, tendent à cette apparition-disparition qui préside, qu’instaure la correspondance entre la forme et le sens caché, le moment et le lieu qui la soutiennent. Elle est le souffle général, la main d’un Novembre qui offre l’éclair. Tout ce qui est donné par la simple introduction du désert et de son règne éphémère et qui, après l’effacement, s’ouvre à une naissance. Voici « A une terre d’aube », je m’engage. Et vite aux portes des sables se déclare la parole qui répare,

« Hier régnant désert, j’étais »

Cela suffit pour ce que j’ai dit. Le cygne baudelairien est d’ici. L’orage se profile, il n’y a plus qu’à s’entendre parler :

« Ecoute-moi revivre dans ces forêts

Sous les frondaisons de mémoire

 

Ecoute-moi revivre, je te conduis

Au jardin de présence. »

 

Et un pas devant :

 

« Hier régnant désert, j’étais feuille sauvage

Et libre de mourir,

Mais le temps mûrissait, plainte noire des combes,

La blessure de l’eau dans les pierres du jour. »

 

L’étoile foulée, jaillit retrouvée qui éclaire nos lèvres. Plus rien n’affirme(ra) jadis, racine fossilisée pourtant. La fuite et la peur sont vaincues, Douve n’est pas bien « qu’éternelle », dangereusement ! Enfin le poète découvre « L’oiseau des ruines » :

« L’oiseau des ruines se sépare de la mort,

Il nidifie dans la pierre grise au soleil,

Il a franchi toute douleur, toute mémoire,

Il ne sait plus ce qu’est demain dans l’éternel. »

 

Le présent est lourd. « Hier régnant désert »  sera vaincu, Bonnefoy depuis confirme. Le sable n’était ?

 

« Le sable est au début comme il sera

L’horrible fin sous la poussée de ce vent froid.

Pourquoi avançons-nous dans ce lieu froid ?

Et pourquoi disions-nous d’aussi vaines paroles,

Allant et comme si la nuit n’existait pas ?

Mieux vaut marcher plus près de la ligne d’écume

Et nous aventurer au seuil d’un autre froid.

Nous n’aurons pas parlé. Un reste de lumière

Simplement s’attardant à l’horizon du froid. »

©Miloud Keddar