J’attrape mon cœur
C’était peu après les attentats du 11 septembre. Et c’était surtout après une nuit bien alcoolisée. Ou peut-être que c’était le contraire. Je ne suis pas bon en chronologie des événements. À part pour déshabiller une fille. Ça, je sais qu’il faut toujours commencer par le bas. C’était d’ailleurs sûrement ce qui s’est passé la veille, puisque je me réveille près d’une fille. Une fille aux seins littéraires. Enfin, quand je dis seins littéraires, je pense best-seller. Une fille aux seins Marc Lévy si vous préférez. Je n’ai plus la moindre idée de qui elle est. Faut dire aussi que je ne suis même pas foutu de me souvenir dans quelle ville je suis. Elles se ressemblent toutes, avec leur Zara et leur Mac-Do. C’est bien simple : plus je voyage, plus j’ai l’impression d’être chez moi. Même si chez moi, c’est aussi vague que le temps où je n’avais pas de succès. Je suis une putain de star, je me dis parfois, tout en sachant que rien ne changera à rien, que la vie c’est juste une course pour monter tout en haut des tours jumelles de New York.
« Je m’appelle Lola, a dit la fille.
– Et tu n’étais pas avec une copine hier soir ?
– Si, ma sœur jumelle.
– Ah les jumelles encore.
– Mais elle a du partir. Elle avait cours.
– Ah bon. Mais vous avez quel âge ?
– Heu… 16 ans.
– 16 ans ?
– Oui, enfin dans six mois.
– Quoi ? Mais tu es beaucoup trop vieille pour moi !
– Mais… mais non…
– Et puis tu n’as pas assez d’expérience.
– Pas du tout. J’ai déjà vécu trois ans avec Gabriel Matzneff.
– Ah tu vois ! L’amour dure trois ans ! Ça ne m’intéresse plus de savoir la fin avant le début. Et puis le matin, rien n’est pareil. Je ne suis pas drôle. J’ai l’impression de vivre à Bagdad ».
C’est une phrase que je sors souvent. C’est fou le nombre de fois où j’ai répété les mêmes choses aux mêmes filles dans les mêmes endroits où j’étais habillé pareil, avec ma carte qui a toujours la même couleur : bleue. Et toujours, cette phrase attendrit les filles. C’est le mot Bagdad. Elles aiment ça. Les plus jeunes pensent que c’est un truc sexuel, que je vais leur bagdader le cul, ou quelque chose comme ça. Alors celle-là, la Marc Lévy poitrinaire, elle s’est approchée de moi, comme si elle n’avait pas compris que la veille au soir, c’était juste un autre siècle. Je l’ai repoussée avec mes doigts de pied.
« Mais…
– Il n’y a pas de mais. Tu t’en vas.
– …
– Laisse-moi ta culotte, et file ! »
La fille est partie. Je me suis levé : c’était la conquête d’une nouvelle journée, qui serait la conquête d’une nouvelle soirée. Ma vie était celle d’un égoïste romantique, d’un homme sans qualités, d’un Ulysse à la recherche du temps perdu, d’un voyage au bout de la nuit, tous les mots et tous les chefs d’œuvres me tombaient sur la tête, comme les pluies lentes d’automne. Je voulais pleurer en imaginant ce bonheur que je trouverais un jour dans des prairies aux pétales multicolores. Mais cela faisait si longtemps que je n’avais pas pleuré. À part peut-être devant le visage de Nathalie Portman dans le dernier film de Wes Anderson. Ou alors c’était peut-être à cause des valises Vuitton ? Je n’ai plus de larmes en moi : je bois trop pour cela. C’était le matin, l’heure d’appeler le room service. Le soir, j’appelle des putes, et le matin je mange des pâtes. Ah, ah ! Et je rêvais surtout de ne plus être moi. De m’oublier, et de disparaître comme l’avait fait Salinger. Si un jour je voulais attraper un cœur, ce serait le mien.
Inédit paru dans le n° 57 de Traversées
S’il ne restait des twin towers qu’une fille poitrinaire (qui est Marc Lévy?), que le monde se résumait à une collection de petites culottes, les miséreux continueraient à boire leurs sales bières en bonnes victimes d’une non moins sale guerre qui ne dit pas son nom. Elle est planétaire, celle-là: elle est celle que mènent les riches contre les pauvres pendant que les écrivains se saoûlent de désespoir, entre deux aéroports. Plus rien à dire puisque rien ne change…
Dans un éclair de lucidité, pourtant, on pourrait croire…
– Allez, laisse-moi ta plume et ta célébrité, que je participe à la naissance d’un jour moins glauque que le précédent.
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Pris sous cet angle tu as raison Xavier. Et c’est vrai que le décor choisi pour cette historiette n’est peut-être pas des plus heureux. Mais aux dires de certains membres de Traversées qui le connaissent D. Foenkinos est un garçon charmant et d’une simplicité déconcertante même s’il a le tort d’être célèbre.
Serge
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