Jean-Paul Gavard-Perret

Mines de rien, Michel CAZENAVE, Éditions de l’Atlantique, Saintes, 40 p., 16 €.

Chez Cazenave l’aphorisme (car aphorisme il y a du moins en partie) devient grain et
écume contre le silence. Il est passage et permanence, le silence et le chant, le chat et la
souris. Il permet de pénétrer l’impossible estuaire du poème dont parlait Valéry. Il est
aussi la margelle de mon temps, le filet de voix de l’injonction presque silencieuse afin
que l’on descende en soi pour apprendre un peu mieux qui on est et qui est l’autre. Un
seul exemple suffit à le démontrer : « La femme fatale est un mythe, la fatalité est en
nous ». C’est nous – et non elle – qui nous laissons conduire là où la noce fond et se
réduit à une communion à l’obscur. Cazenave nous rappelle avec ironie comment nous
subissons le sortilège d’une envoûtante confusion entre notre espace habitable et notre
espace habité. Et si, à la charnière des mondes, la femme reste le flacon à peine
débouché à la portée des sens c’est que nous le voulons bien. Dans un tel livre, la
traversée des possibles effleure notre conscience. D’où l’ébullition qu’il provoque en ses
noeuds étranges. S’éprouve soudain la précarité de l’existence, et si l’on plonge dans
l’émotion par la mosaïque des fragments successifs, c’est à travers l’ironie sans cesse
réitérée. D’où cette transmutation au sens alchimique du terme. A notre ignorance,
Cazenave offre l’ivresse de sa connaissance lestée de ferments corrosifs et de strates de
nos archives intimes demeurées trop longtemps à l’abri de notre conscience. Le réel bat
soudain en fragments au rythme l’aphorisme qui traque l’essence même de la vie. Nous
y dérivons en héros burlesques voués au flottement avant la noyade terminale. Mais ce
texte diffère le verdict et nous adjoint de reprendre le fil conducteur d’une jubilation
peut-être dérisoire à l’épreuve du temps. Mais nous sommes depuis si longtemps
fissurés que nous nous demandons comment peut jaillir un tel espoir…

Chronique parue dans le n° 55  Eté – 2009